ÉLÉGIE À LA VILLE D’ANNICY

Ville grande en mérite et petite d’enceinte
Voicy les traict divers dont tu seras dépeinte
Chère ville où j’ay pris si favorablement
Des filles d’Apollon le premier document
Ville enfin que l’esclat d’une pompe perie
Sous l’ancien nom du bœuf apelloit Olyrie
Tu parois maintenant sous le nom d’Annicy
D’une insigne vertu le portrait racourcy
Illustre en ses Prélats, en ses Roys, en ses Princes
Tu peux donner la loy sur diverses Provinces
Tout ce que de Sacré Genève a rejetté
Tu le retiens chez toy par tant de fermeté
Que jamais dans tes murs, on na veu l’heretique
Plus tost on y rencontre un concert Angélique

Quatorze Églises sont la source des bon heurs
Qui font briller en toy les souverains honneurs
Entre tes beaux clochers deux servent de Merveilles
Sur tout quand on entend leurs cloches nompareilles
Et d’ailleurs quand lon voit tant de monde rangé
Tant de Religions avec son grand Clergé
L’on te compare à Rome, on te voit toutte Saincte
Une seulle paroisse embrasse ton enceinte
Sous le chef des Thébains qui consacra les lieux
Les trempant dans son sang pour vaincre les faux dieux
Et comme on ne peut voir aucune pompe esgale
À ces trente rangées dedans la Cathédrale
Tous nobles ou docteurs d’insigne qualité
De mesme je rencontre une autre esgalité
Voyant quatre Consuls et quatre Capitaines
Sous lesquels convoquant des soldats à centaines
Tu te scais anoblir sous le gré de nos loix
À l’arbaleste et l’arc exercant tes bourgeois

Le pauvre est bien receu comme en son domicile
Sous le mesme couvert de ta maison de ville
Un conseil, une chambre, un juge sont trois corps
Qui dominent en toy sur trois divers ressorts
Estant faicte Evesché tu recois les hommages
De plus de trentes bourgs et six cent villages
Ton collège fleurit aux Prestres qu’il produict
Et ton palais de l’Isle en Advocat reluict

Assise au beau milieu d’une campagne heureuse
Bacchus avec Cérès te rendent plantureuse
De l’eau qui t’environne et te lave au dedans
Trois fleuves sont formés de ton lac descendant
Qui par tes environs font diverses entrées
Pour apporter par tout les fruicts et les denrées
Tu peu te prévaloir à ton gré de tes eaux
Séparés puis unir tous ces divers canaux
Tu peu pour tes plaisirs et pour mille services
En varier le cours par divers artifices.

Quatre portes sans plus ferment tous tes abords
Et la chaine sur l’eau tient l’ennmy dehors
Entre dix ponts de bois et six qui sont de pierre
Trois sont des ponts levis dont l’un n’est que sur terre
De boutiques le moins on en compte trois cents
Et sur tout les couteaux on y faict ravissants
Tes trois fauxbourgs feroient des villes raisonables
Comme sont tes deux prés, tes accès agréables
Quant à ce pré sans pair, de nos biens le plus beau
D’un si large carré clos de murailles et d’eau
Cet un présent royal pour la Visitandine
Qui tire d’Annicy son illustre origine
Ce pré nous a faict voir qune mesme maison
Porte pour ton bon heur double contre poison
En espurant ton air et ta température
Elle guérit tes maux par dessus la nature

Sous terre sont formés mille canaux divers
Et ta tuille rougit dessus tous tes couverts
La plue et les chaleurs n’offancent point tes rues
Elles sont à l’abry d’arcades continues
Ton chasteau relevé sur un puissant coupeau
Nous faict voir d’un clain d’œil l’aspect vaste et si beau
Qui présente à nos yeux les plus lointaines roches
Monstrant à mesme temps les collines plus proches
Dans la diversité des fertiles hameaux
Qui distinguent la plaine et les bords de tes eaux

Au reste on void Tresun passer touttes les choses
Dans lequel cent beautés avec l’art sont encloses
Tes braves citoyens dociles et courtois
Jouissent des Marches dans sept jours par deux fois
L’on ne sauroit nommer un lieu si favorable
Pour trouver à bon prix de quoy garnir la table

Voicy pour l’acomplir que je désir icy
Cet que estant un tel poste, il pleut à Nostre Roy
Pour la rendre assurément de nos villes la Reyne
De mestre en son enclos une Cour Souveraine
Quoy que ce n’est pas peu tout ce que je t’ay dict
Ce sera beaucoup plus pour te mestre en crédit
Si le pape bien tost ton Francois canonise
Dont la rare vertu brille en toute l’Église
Dont tu vois tous les jours les faicts miraculeux
Et sur qui l’on concoit l’augure merveilleux
De voir après cela la paix universelle
Ainsi que le prenoit le Chef de la nacelle
Dont Saint Pierre a tenu le gouvernail en main
Et qui tient comme luy le tribunal Romain
Enfin belle Cité voyla les tesmoignages
Que rend pour tes beautés et pour tes advantages
Celuy dont le pouvoir n’esgale pas le cœur
Pour prouver comme il est ton parfaict serviteur.

Dom Luc-François de Lucinge, in Estat des Provinces de Genevois et Foucigny, 1691.
Publié par Marcel-Robert Sauthier dans la revue Annesci n°12, 1965.


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