SOUVENIR D’ANNECY

Ce matin, j’ai déboulé de la Tournette
par enjambées si grandes, si grandes
que tous mes muscles sont fourbus.
Sur le pont du bateau je suis
resté pelotonné regardant fuir
insensiblement l’eau, les rives et les maisons tranquilles.

Maintenant je veux beaucoup de calme.

Mon lac est là, poli, bleuté comme un verre de Bohème.

Avec ses rides rougeâtres, le bloc du Parmelan,
puissant de tous les anciens ans,
se dresse lourdement, dans le clair bleu.
L’ellipse du quai,
immensément ouverte,
se perd très tenue contre les blocs gréseux.
Elle entoure, très exactement
le clapotis d’eau clair
aux reflets bleus,
aux reflets verts ou glauques
qui frissonnent au vent d’été.
Sous un dur reflet prismatique,
au loin, reste inerte la nappe métallique
bordée d’un vert aux tons légers
où percent les toits rouges des bonheurs cachés.

Je suis resté bien longtemps,
sans vouloir connaître le temps,
allongé de tout mon long
sur le quai blanc.

Le ciel s’est éteint sur une eau livide
et s’est piqueté de clignotis blancs.

Dans l’air soyeux
aux teintes d’un violet brumeux,
les monts noircis
se sont grandis
tellement
qu’ils me font peur comme ceux des rêves.

Les souffles furtifs effleurant mes cheveux
disent aux feuilles grêles

-Il s’est endormi.-

André Caruel, in Montagne, anthologie alpine, Ed. de la revue « Les Alpes », 1941


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