À LA FAMILLE PACCARD


SOUVENIR DU 1er CENTENAIRE DE LEUR FONDERIE
1796-1896

I

Salut, et de tout cœur, grand jour du Centenaire
Dont il fait si bon voir le soleil jubilaire !
Salut, toi qu’attendaient tant de souhaits ardents !
Salut, garant d’amour de la Toute-Puissance !
Salut !… Mais pour chanter un siècle d’existence,
Où trouver de dignes accents ?

Il faudrait les accords de Virgile et d’Homère
Pour chanter sur la lyre une date si chère
Qui d’une œuvre de foi vit surgir le berceau.
Ce berceau fut Quintal, et c’est sa Fonderie
Qui, parmi les éclairs de l’orage en furie,
Saluait un siècle nouveau.

Les clochers, dès quatre ans, gisaient dans la poussière ;
Nos cloches aux canons fournissaient la matière ;
Sur tout le beau sol Franc sévissait la Terreur.
Quels jours d’effroi, de deuil, de pleurs et de ténèbres !
Mais la Foi, mais l’Espoir, même en ces jours funèbres,
Illuminaient plus d’un grand cœur.

Sur son doux tertre, alors, Quintal avait la gloire
D’abriter un croyant, dont le nom dans l’histoire
Peut après des grands noms s’inscrire avec honneur.
Ce vaillant fut Paccard qui, dans un saint courage,
De cloches, en Savoie, au plus fort de l’orage,
S’établissait l’ardent fondeur.

La cloche, qui l’ignore ? est une chose sainte ;
De la Croix en tous lieux elle porte l’empreinte
Et la fin d’un tel siècle abattait cloche et croix.
Gloire donc au chrétien qui sut, grâce au saint Chrême,
Rendre au bronze aéré le sacre du baptême,
Et les cloches aux vieux beffrois !

C’est là l’honneur sans pair de cet anniversaire
Qui fête avec transports un premier Centenaire.
Aussi, d’amis de choix quel concours au saint lieu !
Sonnez donc et chantez, cloches, voix de l’Église ;
Qu’à vos mâles accents tout ici s’électrise
Comme à la voix même de Dieu.

Il doit être à l’honneur, comme il fut à la peine,
Celui qui dans le bronze imprima son haleine,
Et dont l’œuvre prospère est illustre à jamais.
Oui, gloire au cher aïeul dont les fils sans reproches
Ont parsemé les airs de ces milliers de cloches,
Astres d’espérance et de paix !

II

Ce siècle de labeurs clôt aujourd’hui sa course.
Nos fastes dans Quintal en béniront la source ;
Mais Annecy-le-vieux en garde le trésor.
C’est là qu’aux sons vibrants de l’hymne séculaire
Nous fêtons des Paccard l’heureux anniversaire,
Sous l’éclat de vingt lustres d’or.

D’un splendide avenir, ô prémices fécondes !
Du sein de leurs fourneaux, jusqu’aux confins des mondes,
Ont pris leurs bonds sacrés mille harpes d’airain
Dont les chants, de l’impie étouffant le blasphème,
Doivent sous tous les cieux prolonger leur poème
À l’adorable Souverain.

Qui l’eût dit ? Et pourtant l’œuvre est là qui subsiste,
Sans fin, de ses chefs-d’œuvre enguirlandant la liste
Qui pour notre Savoie est un vrai livre d’or.
Elle est là, du Christ-Roi proclamant la victoire
Et traçant aux Paccard de longs sillons de gloire
Que le temps doit grandir encor.

Leurs splendides bourdons, dans des flots d’harmonie,
Ont fait en mille lieux admirer leur génie
Que couronne l’honneur et que soutient le foi.
Leurs joyeux carillons, dans la nature entière
Promenant leurs accords, ont porté la prière
Jusqu’au trône du divin Roi.

Il faut être à coup sûr, fort en géographie,
Pour suivre dans leur vol en Europe, en Asie,
Ces filles de Quintal et d’Annecy-le-Vieux,
De chœurs aériens innombrables phalanges,
Qui font écho sur terre aux concerts dont les anges
Font sans fin tressaillir les cieux.

Les anges des cités où ces bourdons résonnent
De fleurs et de lauriers assurément couronnent
Ces artistes chrétiens, vrais pionniers de Dieu,
Qui, grâce à leurs sueurs, savent donner une âme
À l’airain qui jaillit vivant, comme la flamme,
De son large berceau de feu.

Quel concert, si, soudain, ces cloches réunies
Pouvaient, en un tel jour, mêler leurs harmonies !
Quel triomphe idéal pour ces rois des fondeurs !
Qu’en leur honneur, du moins, nos vivats retentissent ,
Et qu’au loin, toujours mieux, leurs œuvres resplendissent
En astres d’or dans les hauteurs !

III

Ce Centenaire enchante, et sa grandeur écrase….
Quel faite merveilleux sur la modeste base,
Qui semblait à Quintal un fragile roseau ;
Mais les vertus doraient la bouillante chaudière ;
L’atelier exhalait un encens de prière
Dont s’embauma ce vert coteau.

Et l’œuvre des Paccard prit un essor immense ;
Elle a des continents su braver la distance ;
Le temps même, ô bonheur ! accélère son vol.
Georges a des bras de fer, et Francisque a des ailes.
Et de leur feu sacré toujours les étincelles
Plus loin jaillissent de ce sol.

Ah ! béni soit le ciel de cette Fonderie
Où se donnent la main l’Église et la Patrie !
Nos monts ont leurs Paccard comme ils ont leur Mont-Blanc.
De leurs gros clavecins la note toujours juste
De l’art est un prodige… Eh ! Qui sait si leur buste,
Un jour n’ornera pas leur champ ?

Pontmain, le Canada, l’Inde, l’Océanie,
De leurs battants d’airains exaltent l’harmonie :
Qui sait jusqu’où le ciel en doit porter les sons ?
Espoir ! Du Sacré-Cœur tout prédit la victoire
Et, pour chanter partout ses bienfaits et sa gloire,
Dans les airs il faut des bourdons.

N’avons-nous pas déjà notre Salésienne,
Qui lançait dans sa tour son hymne aérienne
Au plus aimé des Saints, au plus doux des Docteurs !
Et sa voix, dès vingt ans, grave et mélodieuse,
Proclamant des Paccard l’adresse ingénieuse,
Fait toujours mieux battre nos cœurs.

Et notre Savoyarde ! Oh ! Que ce nom réveille
De nobles souvenirs ! la voilà la merveille
Qu’avec transport Montmartre acclama dans Paris.
De l’art sur la matière éclatante victoire,
Si de toute cité, seule, elle eût fait la gloire,
Pour nous elle est hors de tout prix.

Ici, de visiteurs quel incessant cortège
Autour de ce bourdon qui maintenant pour siège,
Dans l’antique Lutèce, a le mont des Martyrs.
Que d’exclamations quand sur l’énorme masse
S’étalait ce manteau d’ornements dont la grâce
Éclipsait l’éclat des saphirs.

Sur ces sentiers ombreux quels brillants équipages !
Quels rangs d’illustres noms sur de poudreuses pages !
Près du royal bourdon quel royal rendez-vous !
Partout la renommée en vantait la merveille,
Et la presse aux cent voix, qui jamais ne sommeille,
Attirait l’Europe chez nous.

Après de tels honneurs, dignes d’un vrai poème,
Pouvais-tu, cher Bourdon, rêver plus beau baptême,
Et du Christ dans les airs mieux dresser l’étendard ?
Entre la France et nous sois l’infrangible chaîne ;
Reste, sous les reflets de la pourpre romaine,
L’immortel blason des Paccard !

IV

Pour nous, témoins émus du régal séculaire,
Acclamons, sous les fleurs d’un premier centenaire,
La famille Paccard, la gloire d’Annecy.
Avec elle, acclamons ces ouvriers modèles,
À leur labeur toujours dévoués et fidèles.
Oh ! Que leur place est bien ici !

De vrais patrons chrétiens, ici, quel beau lignage,
Et pour de jeunes fils quel brillant héritage
Dans ces accords de tons dont ils ont le secret.
Léon XIII, à coup sûr, sourirait de bien-être
S’il voyait, comme ici, l’ouvrier et le maître
Côte à côte, au même banquet.

O frères bien-aimés de l’antique Savoie,
Admirons tous ensemble, avec des cris de joie,
Cette union des cœurs, si rare de nos jours !
Elle est d’un grand exemple et d’un heureux présage.
Oh ! puisse l’avenir, sous un ciel sans nuage,
La voir croître et régner toujours.

Mais, assez ; trop déjà : la muse est impuissante
À peindre en traits vivants la scène attendrissante
D’un chantier, grand salon, vrai pavillon de fleurs.
Ah ! du moins, poussons tous, d’une voix triomphale,
Le vivat qu’aux Paccard lançait la capitale :
« Gloire au roi des bourdons ! Gloire aux rois des Fondeurs ! »

Pierre Montagnoux, Missionnaire de Saint-François-de-Sales. In Brochure J.M.J.F. À la famille Paccard, Imprimerie J. Nierat, Annecy. Écrit à Annecy, le 29 septembre 1896.


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