À LA SAVOIE

Dans le frais clair-obscur des heures du matin,
J’avais gravi les prés qui bordent la Tournette ;
Tout à l’entour, les chants du pâtre et la sonnette
Des troupeaux m’envoyaient leur concert argentin.
À mes pieds, le soleil par brusques échappées,
Éclairait les forêts, de brumes estompées
Et par delà les bois de hêtres, à travers
Le noir frissonnement des sapins toujours verts,
Je voyais les blés d’or et les avoines blondes,
Les sarrazins pareils à de blanches toisons
Et les champs de maïs et les toits des maisons
Épars sous les noyers trapus aux cimes rondes ;
Puis, dans le vert lustré des vignes, tout au loin,
Un coin de lac tranquille et d’un bleu de turquoise.
L’air était imprégné de la senteur du foin
Mêlé à des parfums de fraise et de framboise ;
Je le buvais à plein poumon ; j’en étais gris !
La montagne était là, devant moi, dans sa gloire.
Alors, tout exalté, dans ma gourde, je pris
Un grand verre de vin pétillant de Talloires
Et saluant les monts, les bois, le lac d’azur,
Le cœur ému, les yeux en fête, l’âme en joie,
Je portais tout là-haut, sous le ciel large et pur
Un toast à la Savoie.

À la Savoie ! au beau pays toujours français,
À la noble province énergique et loyale
À qui les pics neigeux et les vieilles forêts
Font une couronne royale !

Aux fils de la Savoie ! aux braves gens de cœur
Par qui la France, aux jours de deuil, fut secourue
Et dont les fortes mains, avec même vigueur,
Tiennent l’épée et la charrue !

À ses filles !… Leurs yeux doux, limpides et bleus
Gardent un reflet pur du lac dans leurs prunelles ;
Les roses cyclamens, sous leurs sapins ombreux,
N’ont pas meilleure grâce qu’elles.

Ô Savoie ! ô pays merveilleux ?… C’est ici
Que Rousseau vit pousser les fleurs les plus exquises
De ses jeunes amours ; – aux jardins d’Annecy,
À Thônes parmi les cerises.

Genève eut son berceau, mais ce fut sur ton sol,
Au bord de tes ruisseaux courant sous la verdure,
Que son esprit, semblable aux oiseaux de haut vol,
Prit l’essor en pleine nature.

Aussi j’aime tes prés, tes pics et tes torrents,
J’y retrouve en plus grand, mon vert pays des Vosges ;
Je t’envoie un salut fraternel et je rends
Hommage aux terres allobroges.

Et levant haut mon verre où mousse ton vin pur,
Le cœur ému, les yeux en fête, l’âme en joie,
Je porte un toast aux monts, aux bois, au lac d’azur,
À la Savoie !

André Theuriet, cité par A. Croyn, in Annecy, le lac, les environs, Ed. Abry, 1904


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