BONLIEU, UNE NOSTALGIE POUR PLUS TARD

À travers les grandes baies vitrées du nouveau bâtiment ancré là depuis peu, nous considérons, sur la pelouse entre Bonlieu et le lac, le contour exact du vieux Casino, tel une ombre à Hiroshima, volatilisé quelque part entre juin 1981 et juin 1983.

Une main géante a subtilisé le vieil écrin d’or et de pourpre. Par un procédé de pixilation ringard, mais efficace, il se fermait sur les joyaux d’une année pour se rouvrir sur ceux de l’année d’après. Comme un Titanic qui aurait sombré dans le gazon, avec d’ailleurs son seul métraboraprédieu.

Et voici qu’à sa place nous est donné ce vaisseau polyèdre de lumière et d’acier, d’où notre nostalgie contemple sur le sol cette trace stérile, là où notre vieille machine à explorer le temps à la vitesse de 24 images par seconde s’est dématérialisée.

En se détournant sur un soupir, c’est pour les naufragés le spectacle du vaisseau Bonlieu qui nous a recueillis : escaliers mécaniques suspendus, passerelles entre ciel et terre, lumière de vivarium, ruche de verre brouhahante, tout nous dit que pour les pèlerins en partance, pour les rois image par image, pour les fins amateurs d’intervalles pertinents, les temps ont changé. La Kaaba nouvelle est arrivée, les ministres peuvent venir, on va pouvoir à nouveau se faire des petits juins planants.

Dans bien longtemps, un jour que nous aurons été encore relogés ailleurs, c’est de Bonlieu dont nous aurons très fort ce regret désarroi, tant on n’aime souvent bien que ce qu’on a quitté.

Gérald Dupeyrot, in Bonlieu, centre de vie, Ed. à Annecy par la ville d’Annecy et Bonlieu Scène Nationale, 1992


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