SUR LE LAC D’ANNECY

Mon lac n’est pas celui que chanta le poète
Et sur qui flotte encor son immortel sanglot.
Il n’a pas reflété sa mince silhouette
Qui venait errer sur les flots.

De plus humbles amants ont vu ses eaux dormantes
Et parmi les parfums rustiques et les fleurs
Ont dit l’éternel mot que les lèvres aimantes
Se murmurent avec des pleurs.

Leur complice secrète était la nuit sereine
Qui posait sur leur front sa caresse ; et souvent
Elle entendait leur voix mêler leur cantilène
Aux douces complaintes du vent.

Ils ont dit, comme toi, tu fis avec Elvire,
L’éternelle chanson des éternels serments.
Et comme vous ils ont épanché leurs délires
En d’infinis embrassements.

Sur eux comme sur vous la nuit posait ses voiles.
Et, suivant leur sourire aux doux frissons des eaux,
Pour eux comme pour vous scintillaient les étoiles
Tandis que chantaient les roseaux.

Comme pour nous hélas, le temps inéluctable
A coulé sans souci des malheureux amants,
Semant derrière lui les deuils inévitables
Et les cruels déchirements…

Pourquoi sur notre lac, n’est-il plus une trace
De ces amours passés qui vécurent sur lui,
Lorsque sur l’autre lac le souvenir vivace
Demeure quand tombe la nuit.

Tes amours étaient-ils plus grands, ô Lamartine ?
Car il me semble voir ton ombre dans l’azur
Quand sur ton lac parmi les senteurs d’églantine
Le soir descend tranquille et pur.

Je ne sais… Mais ta voix qui domine les nôtres
A clamé ton amour à tous éperdument.
Et tandis qu’en l’oubli s’engloutissent les autres
Le tien reste éternellement.

Clément Gardet, in Guirlande à la Savoie, Ed. Revue moderne des arts et de la vie, 1932.


Clefs : Alphonse de Lamartine | questionnement | parallèle avec le lac du Bourget