POÉSIE
SUR
LE RÉTABLISSEMENT
DE L’ÉVÊCHÉ D’ANNECY
GOUVERNÉ
par Monseigneur C. F. de Thiollaz*.

Puisque je dois t’offrir mon zèle et mon essai,
À tes vœux, cher ami, je me rends sans délai,
Mais sois mon Apollon : le tableau que je trace,
Attend de ton pinceau les couleurs et la grâce.
Tu m’appelles ; je cours : soutiens-moi de ton bras.
Aidé de ton génie, entraîné sur tes pas,
J’écoute les accents de ta Muse éloquente,
Et j’aborde avec toi MONSEIGNEUR. Qu’il m’enchante !
À son aspect, d’abord mes regards réjouis,
Admirent SA GRANDEUR ; mais bientôt éblouis,
Ils redoutent l’éclat des beaux traits qu’il rassemble :
Je recule, impuissant d’en soutenir l’ensemble.
Il a désespéré mes yeux et mes crayons.
Qui pourrait du soleil réunir les rayons ?
Peindre, en un seul tableau, les couleurs de l’aurore,
Cet astre à son midi, plus éclatant encore,
Prolongeant au couchant son cours si radieux,
En portant la lumière et la vie en tous lieux ?
Le soleil n’est fixé qu’à l’aide du nuage,
Que lorsque aidé de l’art, par un heureux partage,
On divise en faisceaux qu’on reçoit tour-à-tour,
Les rayons bienfaisans de cet astre du jour.
Mais il vaut mieux le voir dans sa marche féconde,
Étaler les beautés dont s’enrichit le monde,
Varier ses présens, et verser des bienfaits,
Sans perdre son éclat, ni s’épuiser jamais.
Qui rendra les tableaux qu’il produit sans mesure ?
Varions nos couleurs pour peindre la nature.
Ainsi du GRAND PRÉLAT qu’aujourd’hui nous chantons,
Le mérite et la gloire exigent tous les tons ;
Il faut orner de fleurs le berceau de sa vie,
De palmes couronner l’essor de son génie :
L’émule de Biord sur des bords étrangers
La France l’admira, le couvrit de lauriers ;
Les vertus, les talens formèrent sa couronne ;
Son nom partage et fait l’honneur de la Sorbonne :
Tel l’arbre qui s’élève et fleurit au printemps,
Pour nous donner ses fruits, pour embellir nos champs.

Enorgueillis tes murs, ô cité fortunée,
Des lauriers immortels dont sa tête est ornée ;
Prépare tes palais, célèbre son retour :
Le Ciel veut qu’Annecy devienne son séjour :
Bientôt tu jouiras des bienfaits de son zèle.
Inspiré du TRÈS-HAUT ce Lévite fidèle,
S’enrôle dans l’Église à la voix des prélats :
Son courage et sa foi l’ont fait pour les combats.
Placé dans les hauts rangs de la milice sainte,
« Du temple du SEIGNEUR il défendra l’enceinte, »
Et brillant de vertus, épouvantant l’erreur
D’un diocèse antique, il soutiendra l’honneur.

Auparavant hélas ! quels démons vous égarent !
Peuples infortunés, quels fléaux se préparent !

Fuyez, tendres agneaux, dans des lieux isolés ;
Suivez dans les déserts vos pasteurs désolés.
Déjà le fleuve impur a souillé vos fontaines ;
Le torrent du malheur vient ravager nos plaines ;
Je vois fondre sur vous à la fois tous les maux,
Un limon étranger empoisonne vos eaux.
De vos ruisseaux sacrés les bienfaisantes ondes
Vont cesser de couler : des animaux immondes
Sur l’herbe de nos prés épanchent leur venin,
Leur atroce fureur ne connaît plus de frein.
Fuyez, troupeaux chéris, leur haleine empestée.
La campagne est partout d’ennemis infestée.
Dieu ! quel espoir nous reste en ces pressans dangers !
Dans nos champs, nos hameaux, que de cruels bergers !
Hélas ! nous vous quittons, beaux troupeaux de nos pères !
Ah ! n’écoutez jamais la voix des mercenaires ;
Ils sont des loups couverts du manteau des pasteurs.
Souffrez plutôt… Un Dieu finira vos malheurs.

Tel soupirait Mélibée en quittant ses prairies,
Le sol qui les vit naître et ses brebis chéries.
Que devient IOLAS dans ces temps désastreux ?
Ses agneaux sont souffrans : il veut braver pour eux
La fureur des lions, les dangers, la mort même,
Il attend qu’on l’arrache à ce troupeau qu’il aime.

Déjà, quels étendards !
Une phalange impie a franchi nos remparts.
Cette horrible cohorte,
Que la fureur transporte,
Triomphe ivre de sang sur des débris épars.

Ses progrès étonnans
Partout couvrent ses pas de dégats effrayans.
Malheureuse Savoie !
Tu vas nourrir la joie
De tes temples détruits, de tes palais fumans.

Ces cruels bataillons
Retracent de l’éclair les terribles sillons.
Leur âme c’est la rage ;
Leur souffle c’est l’orage
Qui forme et fend la nue en d’affreux tourbillons.

Qui pourrait échapper ?
On prépara trente ans les coups qu’ils vont frapper.
Leurs haches meurtrières
Ont rompu les barrières :
Les lois, l’autel, le trône, ils viennent tout sapper.

Tu vois couler nos pleurs
O pasteur généreux, épargne nos douleurs,
Fuis aux plages lointaines,
Tu peux….
Non ; dans les chaînes,
Ta vertu doit un jour étonner leur fureur.

Tes regards imposans
Abaisser la hauteur de leurs tons menaçans,
Et ta bouche éloquente
Leur porter l’épouvante :
Oui l’aspect du héros fait trembler les tyrans.

Retenu dans les fers,
Le juste voit en paix s’écrouler l’univers ;
Fort de son innocence,
Il vit de l’espérance
Qu’un Dieu renversera les complots des enfers.

Bientôt voici la paix,
Les méchans confondus expîront leurs forfaits.
Rassemblés sous leurs tentes,
Les troupeaux dans l’attente
Reverront leur pasteurs, comblés de ses bienfaits.

Enfin dans le bercail, les brebis sont rentrées.
Quand déjà le bonheur règne dans nos contrées,
On croit… Mais qui pourrait arrêter un héros ?
O Pasteur, ton grand zèle anime ce repos.
Dans les combats, la gloire t’environne,
Et les fleurs de la paix orneront ta couronne.
Si, dans le calme, on voit quelque nuage aux cieux,
Dans ces temps incertains, le soleil radieux
Ne suspend point son cours : sa marche est moins connue ;
Mais toujours le soleil sort plus beau de la nue :
Tel se montre à nos yeux l’IMMORTEL DE THIOLLAZ.
Nos besoins et nos cœurs rappellent ce PRÉLAT.
Le conseiller des Rois, le désiré des princes,
Et l’APOTRE et l’AMI, l’HONNEUR de nos provinces.
Chantons cher Amyntas : nos vœux sont exaucés,
IOLAS vient finir tous nos malheurs passés.

Heureux troupeau que le ciel lui prépare,
Pour toi jamais sa main ne fut avare.
Suis ce BERGER, il connaît tes besoins ;
Pour toi trente ans, il prodigua ses soins :
Sous LUI tu peux, loin des sources impures,
Fuir des serpens les mortelles blessures.
Avec douceur il conduit ses agneaux :
Des loups cruels, repoussant les assauts,
Sa noble ardeur sauve sa bergerie ;
Pour ses brebis, au péril de sa vie,
Dans les dangers volant à leur secours,
Ce bon PASTEUR consacre tous ses jours.
Pour LUI, berger, suspendons nos houlettes,
Accourons tous, apprêtons nos musettes ;
Allons chanter le meilleur des Pasteurs
Notre IOLAS qu’ont réclamé nos cœurs.
Mais ses combats sans nombre, et son vaste génie,
Ses travaux immortels attendent l’harmonie
Des hauts sons de la lyre, et de hardis pinceaux :
Pour nous, bergers, prenons le ton des chalumeaux.

Abbé V. Boccard, in Poésies de l’abbé V. Boccard, professeur au Collège de Mélan, sur le rétablissement de l’évéché d’Annecy, gouverné par Monseigneur C.F de Thiollaz, Ed. à Genève, Imp. de P.A. Bonnant, en 1823

*Claude-François de Thiollaz : premier évêque d’Annecy (1752-1832) et du rétablissement de ce siège épiscopal (1814-1824).


Clefs : religion catholique