LES FEUILLES MORTES

À Annecy, janvier 1909,

Sous chaque platane touffu
D’où retombe sur le rivage
Une tonnelle de feuillage,
Caché, l’Automne à l’affut.

Octobre ! Vite il s’aperçoit
Que les misses aux blondes nattes
Ont réintégré leurs pénates,
Et que chacun rentre chez soi.

Car les villas au bord du lac
Sont veuves, veuves de touristes,
Et les vaguelettes tristes
Le soir, en pleurant leur flac-flac.

« C’est l’heure ! » se dit-il tout bas.
Il grimpe dans les feuilles vertes
(Lorsque les routes sont désertes,
Pour qu’on ne l’aperçoive pas).

Et puis, de sa cruelle main,
Il prend sa jeunesse à chacune,
Et laisse choir les feuilles brunes,
Cortège en deuil, sur le chemin.

Ensuite arrivent les passants.
Ils écrasent, impitoyables,
Les douces feuilles misérables
Sous leurs gros pas insouciants,

Tandis que le poète accueille
Le chant tristement obsesseur
De la pâle petite feuille
Qui se pleure avec douceur.

Pierre Lebasteur, in Musiques vaines et premiers bourgeons, 1913, Imp. Abry


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