LE FIER ET LE LAC D ANNECY

Il disait : « Avec moi ; vers les cités lointaines,
Viens, beau lac aux flots bleus !
Viens ! nous visiterons les vallons et les plaines
En jouant tous les deux. »

Il disait: « Nous irons de l’océan immense
Voir l’âpre majesté ;
Tu n’es toi-même, ô lac ! tu le sais bien, je pense,
Qu’une goutte à côté. »

Il disait : « Le Chéran, à nos eaux grossissantes,
Offrira son tribut.
Nous verrons d’autres lieux, des rives séduisantes.
Ici, quel est ton but ? »

– « Mon but (reprit le lac) au pied de ces montagnes
Est de dormir en paix ;
Ma joie est de rester dans ces fraîches campagnes
D’où tu fuis à jamais.

Je veux que sur mes bords le jeune homme qui rêve
Vienne à l’ombre s’asseoir ;
Je veux de songes purs semer pour lui ma grève,
Du ciel être un miroir,

Sur mes flots les plus doux balancer les nacelles
Qui parlent au roseau.
Ô Fier ! porte au dehors tes vagues infidèles :
Là sera leur tombeau.

Le vieux Rhône t’attend, bouillonnante rivière,
Dans son lit tout souillé !
Fais route avec le fleuve : au bout de la carrière
Est la mer sans pitié. »

Constant Berlioz, in La Savoie, Ed. A. L’Hoste, Annecy, 1880.


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