AUX SAULES D’ALBIGNY

À mon vieil ami M. Isidore Nanche,

Des décombres ; la machine bruyante fume.
En groupes consternés et jaseurs, les bons vieux
Pleurent, Saules*, vos silhouettes dans la brume,
Vos ombres s’enlaçant sur le terrain boueux,
Vos bourgeons d’un vert tendre et joyeux, qui s’irisent
En l’imprécision des monts et des eaux grises,
Vos feuillages pâlis sur les moires des blés,
Se massant clairs sur le ciel vibrant de l’été,
Et la grêle longueur des ramures tremblantes
Sous la bise, et le fin treillis violacé
Dont le bord s’amincit et s’affine, estompé
Sur la somptueuse enluminure des pentes,
Que domine des rocs la neigeuse clarté.

En groupes consternés les bourgeois idylliques
Regrettent, Saules morts, votre charme rustique
Au sortir de la ville. Et les jeux d’autrefois,
Huttes de Robinsons, batailles d’Iroquois
Hantent leur souvenir.

Mais la machine fume,
Moutons et madriers se dressent dans la brume ;
L’affiche canari reflète dans les eaux
L’annonce de ton ouverture, ô Casino !

Madeleine Martin, in Premiers vers, Ed. à Annecy, imp. Dépollier, 1915.
Poème rédigé le 5 janvier 1913.

*Sous prétexte de construire un casino sur pilotis, on coupa, en novembre 1912, cinq saules magnifiques qui s’élevaient dans la presqu’île d’Albigny. (note de la poétesse)


Clefs : travaux | chantier | Belle époque | nostalgie