Le lac d’Annecy
Le plus beau lac est près d’ici ;
Tel autre est grandiose ou triste :
Toi, tu souris, lac d’Annecy,
Cher aux rêveurs, cher aux artistes.
La dentelure des rochers
De tous côtés semble l’étreindre :
On dirait qu’il veut se cacher,
Qu’il ne veut pas se laisser peindre.
Des monts aigus enchevêtrés
Se profilent les silhouettes
Que bénit, Évêque mitré,
De son haut fauteuil, la Tournette.
Les parois des dents de Lanfon
Dominant les vallons rustiques
Se mirent dans le bleu profond
Comme un château fort fantastique.
Au pied des rocs à l’air méchant,
Des flancs abrupts, ses crêtes dures,
Les vignes, les maisons, les champs,
Se prélassent dans la verdure.
Du haut des monts, les sapins noirs
Descendent jusqu’aux blancs villages
Que domine un si vieux manoir
Qu’il a connu le Moyen Age.
Trélo, Charbon et Arcalo,
Vous entrecroisez vos arêtes,
Dans le lointain encadrant l’eau :
Ah ! le beau décor d’opérette !…
Opérette, c’est bien cela :
À peine une tristesse douce
Quand l’automne, de-ci, de-là,
Sur les bois met sa teinte rousse.
Mais voyez-le pendant l’été
Quand la lumière harmonieuse
Sur le flot verse sa gaîté
Souriante et capricieuse :
Lascif et paresseux, l’azur
S’étend comme une jeune chatte
Et, bien au soleil, vif et pur,
Frissonne en teintes délicates.
Si le vent souffle, l’on sourit
De son impuissante colère :
Jamais besoin de mettre un ris
À la voile triangulaire.
Les douces eaux, pendant le jour,
Se peuplent de barques légères
D’où s’envolent des mots d’amour
Dont la musique est étrangère.
Seul, le vieux château d’Annecy,
Si gros qu’on le croirait tout proche,
Aux blonds amoureux sans souci
À l’air de faire un sourd reproche.
En vain, les gens du meilleur ton,
Dans maint exotique palace
S’agitent dans des « Charleston »
Et dans des « Cha-cha-cha » salaces.
Ah ! Quel spectacle bien vivant :
Là des bateaux, ici des cygnes,
Et, plein d’un espoir décevant,
Des bourgeois pêchant à la ligne.
Et mille chauffeurs, chaque jour,
À la dextre invisible et sûre,
Du lac font vivement le tour,
« Évitant toute meurtrissure ».
O ! douces eaux, ô bords heureux !
Lac plus coquet qu’une marquise !
Tu rendrais un saint amoureux,
Par ton charme et ta grâce exquise.
Quoi d’étonnant que saint François
De Sales au cœur extatique
Qui vécut sur tes rives, soit
Le plus tendre des grands Mystiques !
***
Même quand le soleil s’éteint
Même quand l’orage te bistre,
Malgré les plombs et les étains,
Tu ne peux pas être sinistre.
Béni sois-tu, lac d’Annecy,
Enchantement de notre terre,
Si bleu qu’il calme un noir souci,
Si gai qu’il rit à l’œil austère,
Pour la paix des tièdes soirs
Qui languit sur tes longs méandres,
Où la lune, pâle ostensoir,
Répand sa lumineuse cendre,
Pour l’or des couchants glorieux
Quand, son front gris devenant rose,
La Tournette aux rocs sourcilleux
S’illumine et s’apothéose,
Pour l’éclat de tes blancs hivers
Quand la neige au soleil flamboie
Et qu’aux sapins demeurés verts,
Ton azur ajoute sa joie,
Pour les baisers de tes matins
Quand l’aube irise tes eaux blêmes,
Pour tes moires et tes satins,
Pour tes ors, tes pourpres, tes gemmes,
Pour ton décor déchiqueté
Unissant — oserai-je dire —
Un tantinet de majesté
À la grâce de ton sourire.
Aimé Bachelard, de l’Académie Delphinale. Magistrat à la Cour d’Appel de Grenoble.
In « Lacs savoyards » dans le Cahier de l’amitié alpine n°70-71, Page libre des écrivains dauphinois, La Tronche, 1960
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