ANNECY

Nous n’irons pas chercher dans tes murs un refrain du passé, de ce passé qui sourd pourtant de chaque pierre. Et cependant, il se dégage de tes ruelles, de tes cours obscures où dorment d’antiques souvenirs, comme un parfum vieillot des âges révolus.

Tes maisons, vestiges chers d’époques disparues, gardent dans leurs encoignures la trace encore visible de personnages fameux.

Irons-nous invoquer l’ombre du grand saint savoyard, de saint François de Sales, plus dur, moins séraphique que ne voudrait nous le montrer une imagerie pieuse, confite de douceur, de gluante pommade ?

Irons-nous réveiller, dans tes quartiers qui n’ont plus, comme autrefois, la coruscation spirituelle de l’époque studieuse, le fantôme de Vaugelas ?

Ou bien, sentimentaux, évoquerons-nous, près de l’ancien évêché qui somnole, l’idylle fraîche de Jean-Jacques ?

La fontaine susurre une chanson dolente et sous le lierre qui ombre le balustre d’or passe dans l’air léger la silhouette voluptueuse de Madame de Warens et celle, timide et gauche, de Rousseau.

Mais à quoi bon rappeler le passé ? N’avons-nous pas promis de laisser dormir en paix les choses disparues ?

Et nous éviterons les ruelles noircies, les arcades fumeuses où stagnent des pans noirs, les monuments lépreux montrant leurs vieilles cicatrices : Palais de l’Isle, Château des Ducs de Nemours, etc. Nous nous élancerons vers la clarté, vers le soleil et vers l’azur.

Nous trouverons cette lumière et ce ciel bleu vers ton lac prestigieux, suprême éclat de ta beauté.

Lac d’Annecy, lac de merveilles, de quel philtre divin ensorcelles-tu tes amants ?

Dans la splendeur de tes eaux qui s’allument brille la flamme de prunelles aimées.

Et le soir, quand les montagnes te cernent d’un halo bistre, tu voiles ton corps de femme provocante, délicieusement sensuelle, et tu chantes comme un enfant une berceuse qui se mue en prière.

Le rêve descend sur tes eaux et tu gardes en tes plis la poésie enclose dans tes rives, ô lac splendide, lac d’Annecy…

Oscar David, in la revue L’Arcade n°1, Annecy, septembre 1933


Clefs : regard du poète | François de Sales | Claude Favre de Vaugelas | Jean-Jacques Rousseau | Françoise-Louise de Warens | « vignettes sur l’eau » de la revue L’arcade | personnification féminine du lac